Rentrée littéraire semaine 2
C'est la rentrée littéraire, le moment pour nous de vous rappeler l'existence de la collection L'Orpailleur dirigée par Christophe Havot chez az'art atelier éditions.Nous continuons avec La saison des épeires, un texte de Jean M. Mathoul, davantage connu en tant que leader du collectif musical 48 Cameras.
image Laurent Maginelle |
Extrait (p21 à 23) :
(...) Plusieurs années se sont écoulées. Carl-le-Fils a grandi. C’est un homme à présent. Sa chevelure est longue et, comme son Père, il la porte tressée. Carl-le-Géniteur a vieilli, a grossi. Son corps le trahit. Carl et son Fils habitent la ville à présent. Cette ville n’est pas bien grande. C’est tout au plus une bourgade, sise à la lisière d’un désert. Elle ne compte guère plus d’un millier d’habitants. Carl-le-Père s’y est installé avec son Fils aveugle.
L’Aveugle n’a pas de bâton. Il dispose d’une Louve pour compagne. Aucun lien, aucune chaîne ne les emprisonne l’un à l’autre. L’aveugle suit l’animal à la trace, comme guidé par un radar. Jamais il ne heurte un obstacle. Jamais il ne tombe et ne se blesse. La Louve est pouilleuse. C’est une bête jugée immonde. Carl-le-Père, lui-même, la craint. Elle est cependant toute dévouée à Carl-le-Fils.
Carl-le-Père chasse les rongeurs. Il faut bien vivre. Chaque matin, il pose ses pièges à divers endroits du bourg. Chaque soir, il les relève. Jamais il ne rentre bredouille. Carl écorche ses proies et y prend plaisir. Les fourrures sont vendues au tanneur. La chair est consommée. Les ossements serviront à satisfaire l’appétit de la Louve.
Carl-le-Père a vieilli. Carl-le-Père a grossi. Inerte, il constate à quel point le monde a changé. Et si un monde change, il convient sans doute de changer avec lui, inerte, dénudé, las…
Quelquefois, Carl songe à l’épouse du laboureur, à sa compagne disparue. Il n’a cependant nulle envie de reprendre femme. Il a son Fils, Carl-le-Jeune, l’Orphelin tout puissant qui ramènera un jour les lourds bisons à la raison.
Carl-le-Jeune se révélera devin. Toute la ville se presse déjà à sa porte pour s’entendre dire la bonne aventure.
Carl-le-Jeune prédit les unions, les naissances, les décès.
Carl-le-Jeune prédit les pénuries d’eau, les tourbillons venus en droite ligne du désert, l’ensablement des faubourgs, l’approche des iguanes.
Carl-le-Père profane les tombes indiennes. En exhume des squelettes blanchis. Perce les tibias dont il fabrique des flûtes qu’il vend aux rares touristes de passage. Il faut bien vivre, honorer quelques taxes locales, se fournir en alcools, en breuvages qui gonflent son ventre ou encore acheter quelques médications, disperser le tabac, consommer quelques épices.
Père et Fils font bon ménage. En de rares occasions, le Père bat le tambour et le Fils chante d’une voix grave et assurée. Les femmes du quartier s’assemblent alors pour les voir et les entendre. Les mélodies sont belles mais particulièrement tristes. Les chants évoquent les bisons et la rivière que Carl-le-Fils n’a pourtant pas connus. Les chants sont graves et plein d’une force qui vient de loin, de l’écorce centenaire des arbres. Les femmes sont comme hypnotisées. Les femmes se caressent sous leur jupe. Leurs maris et leurs amants jalousent et haïssent Carl-le-Père et Carl-le-Jeune. La Louve veille.
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L’Aveugle n’a pas de bâton. Il dispose d’une Louve pour compagne. Aucun lien, aucune chaîne ne les emprisonne l’un à l’autre. L’aveugle suit l’animal à la trace, comme guidé par un radar. Jamais il ne heurte un obstacle. Jamais il ne tombe et ne se blesse. La Louve est pouilleuse. C’est une bête jugée immonde. Carl-le-Père, lui-même, la craint. Elle est cependant toute dévouée à Carl-le-Fils.
Carl-le-Père chasse les rongeurs. Il faut bien vivre. Chaque matin, il pose ses pièges à divers endroits du bourg. Chaque soir, il les relève. Jamais il ne rentre bredouille. Carl écorche ses proies et y prend plaisir. Les fourrures sont vendues au tanneur. La chair est consommée. Les ossements serviront à satisfaire l’appétit de la Louve.
Carl-le-Père a vieilli. Carl-le-Père a grossi. Inerte, il constate à quel point le monde a changé. Et si un monde change, il convient sans doute de changer avec lui, inerte, dénudé, las…
Quelquefois, Carl songe à l’épouse du laboureur, à sa compagne disparue. Il n’a cependant nulle envie de reprendre femme. Il a son Fils, Carl-le-Jeune, l’Orphelin tout puissant qui ramènera un jour les lourds bisons à la raison.
Carl-le-Jeune se révélera devin. Toute la ville se presse déjà à sa porte pour s’entendre dire la bonne aventure.
Carl-le-Jeune prédit les unions, les naissances, les décès.
Carl-le-Jeune prédit les pénuries d’eau, les tourbillons venus en droite ligne du désert, l’ensablement des faubourgs, l’approche des iguanes.
Carl-le-Père profane les tombes indiennes. En exhume des squelettes blanchis. Perce les tibias dont il fabrique des flûtes qu’il vend aux rares touristes de passage. Il faut bien vivre, honorer quelques taxes locales, se fournir en alcools, en breuvages qui gonflent son ventre ou encore acheter quelques médications, disperser le tabac, consommer quelques épices.
Père et Fils font bon ménage. En de rares occasions, le Père bat le tambour et le Fils chante d’une voix grave et assurée. Les femmes du quartier s’assemblent alors pour les voir et les entendre. Les mélodies sont belles mais particulièrement tristes. Les chants évoquent les bisons et la rivière que Carl-le-Fils n’a pourtant pas connus. Les chants sont graves et plein d’une force qui vient de loin, de l’écorce centenaire des arbres. Les femmes sont comme hypnotisées. Les femmes se caressent sous leur jupe. Leurs maris et leurs amants jalousent et haïssent Carl-le-Père et Carl-le-Jeune. La Louve veille.
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Musique : Spiders of Mercy par Jean M. Mathoul (création originale avec : cymbals, soundscapes, spiders'stridulations & tibetan singing bowls ) ECOUTER
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