dimanche 17 juillet 2011

SEMAINE # 17     /CH
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La toupie
Après-midi d’été. Sur la place des enfants jouent. De grands arbres dispensent une ombre qui atténue à peine l’impression de chaleur étouffante. Assis, sur un banc fraîchement repeint d’un rose sombre d’assez mauvais goût, j’observe. De l’autre côté de la place, légèrement masqué par les jeux destinés aux enfants, tourniquet, toboggan, balançoires notamment, un homme s’est accroupi. Il a une quarantaine d’années et porte un costume dépareillé. Il a enlevé sa chaussure droite et il tape avec sur un objet que j’ai du mal à identifier. La chaussure est un outil peu résistant et il ne parvient pas à démanteler ce qui, en fait,  a l’air d’être une tour d’unité centrale d’ordinateur. Il la remet à sa place et donne un coup de pied à l’objet qui bouge un peu mais sans s’ouvrir. Il saute dessus et cette fois la coque de protection cède. Il s’accroupit et, ne disposant pas d’outil, comme mu par un réflexe immémorial, se saisit d’une pierre pour tenter de démonter ce qui peut l’être. Il frappe méthodiquement, patiemment désormais que la bête est ouverte. Il glisse certaines pièces dans une poche en plastique qu’il a sorti de sa veste. Il s’acharne sur certains endroits puis se redresse, totalement indifférent au regard des autres, et part avec sa précieuse récolte. J’imagine qu’il tentera de revendre le tout à quelque ferrailleur. A ma gauche une femme est venue s’asseoir. Elle semble attendre quelqu’un ou quelque chose, préoccupée. Elle a un livre ouvert entre les mains mais n’en tourne jamais les pages et bien que ses yeux soient dirigés vers cet ouvrage, dont je n’ai pas réussi à lire le titre, c’est comme s’ils restaient bloqués sur le premier mot, incapables d’aller plus loin. Moi je n’attends rien, ni personne.  Sur un autre banc, à quelques mètres, de vieux maghrébins discutent doucement. Ils mélangent sans difficulté le français et un arabe aux intonations plutôt algériennes mais je soupçonne l’un d‘eux d’être originaire du Maroc. Un homme de leur âge passe en traînant les pieds, comme s’il avait des difficultés pour se mouvoir. Il les salue avec un fort accent pied-noir. Ici, ceux qu’on appelait les rapatriés, sont encore nombreux. Avec la chaleur tous ces hommes doivent s’imaginer revivre leur jeunesse africaine. Pas de palmier sur la place pour conforter leur imagination. Pas de clapotis de la mer non plus. Seulement le bruit des enfants qui crient et rient en se poussant et le piaillement de quelques oiseaux. D’un petit sac en tissu l’homme sort divers objets hétéroclites : un éventail, une lampe de poche, une boîte de conserve dont il soutient que le contenu n’est pas périmé en lisant la date inscrite sur le fond, des cartes postales écrites qui pourraient tenter un collectionneur, des bibelots et les propose à la vente à un prix dérisoire. Sans succès. Un avion passe et son vrombissement assourdissant couvre tous les autres sons. Je n’ai pas entendu sonner le téléphone portable de ma voisine pourtant elle l’a porté à son oreille et a commencé une conversation avant que le bruit des moteurs ait complètement disparu. Elle semble énervée, en colère même, mais il n’est pas possible de savoir de quoi il retourne. Elle parle pourtant fort mais les mots, mis bout à bout ne prennent pas un sens intelligible. Elle s’exprime par exclamations, affirme son refus par des « Non ! » sans appel mais elle ne forme pas la moindre phrase. Deux jeunes hommes, un blanc et un noir, mal rasés, vêtus salement, et apparemment passablement éméchés arrivent en titubant, hilares. L’un d’eux, le blanc, porte une petite pancarte en carton sur laquelle une écriture rouge irrégulière demande des subventions pour l’ouverture et le soutien d’une activité de cinéma ambulant en plein air. Il paraît difficile de croire à la viabilité de ce projet et même au début de sa réalisation. La femme a raccroché, contrariée. Même eux, les jeunes hommes, ne semblent pas motivés par ce qu’ils affichent et ils ne demandent d’ailleurs rien à personne. Ils ont posé la pancarte qui tient tant bien que mal verticalement, bancale, appuyée au sol grâce à des rabats. Le noir pousse une espèce de chariot qui pourrait autrefois avoir été un landau et sur lequel sont accrochés d’autres cartons, plus petits, recouverts d’écritures multicolores totalement indéchiffrables. Il s’appuie dessus pour ne pas tomber, ce qui lui donne une démarche irrégulière et peu assurée. L’autre reprend sa pancarte et repart d’un pas léger, comme s’il dansait. Personne n’a donné la moindre pièce à ces apparitions quelque peu surréalistes. La femme ne semble même pas les avoir remarqués. Elle a sorti un petit miroir du sac à main qu’elle tient sur ses genoux et réajuste son maquillage comme si elle avait un rendez-vous galant. Au final sa bouche est trop soulignée et ce qui se voudrait séduisant est davantage vulgaire. Elle compose un numéro sur l’écran de son portable. « Oui… C’est moi… Oui… Tout de suite. » Elle se lève et repart d’un bon pas dans la direction de laquelle elle était arrivée. Derrière le tourniquet avec lequel plus aucun enfant ne joue, une jeune femme, à peine majeure, semble se débattre contre trois jeunes hommes guère plus âgés. Elle rit à pleines dents. L’un des garçons a un appareil photo numérique compact et immortalise la scène, si l’on peut dire car ces photos se volatiliseront sans doute sur les réseaux sociaux. Les parents des enfants qui jouaient en face de moi sont venus les chercher et malgré quelques réticences les enfants ont quitté la place. Je reste assis, le spectacle va continuer.

ROBERT RAUSCHENBERG'S SUMMER RENTAL # 2 (abridged)   /  Alain Pire
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