dimanche 28 août 2011

SEMAINE # 23     /CH
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Matière organique
« Non, je ne vois pas. Je ne vois pas ce que tu me reproches. Ce n’est pas clair du tout.  (silence) Et pourquoi justement maintenant ? »
De là où je suis-je n’entends que la voix de la femme, qui parle relativement fort et que le vent pousse jusqu’à mes oreilles, pas celle de son interlocuteur.
La plage est quasiment déserte et la mer s’est retirée. J’avais décidé, après avoir consulté les horaires des marées sur le petit dépliant remis à l’Office du Tourisme, de venir marcher sur le sable mouillé à la recherche de coquillages.
« Mais non, mais c’est toi. Y a rien à voir c’est trop facile. (silence) Aucun rapport.  On ferait mieux d’en parler ailleurs qu’au téléphone. »
Dans mon souvenir les formes étaient plus variées. J’espérais retrouver ces petits jaunes bombés d’un côté et s’ouvrant sur l’autre avec une petite fente légèrement dentelée, ou encore ces tous petits bigorneaux, jaunes eux aussi, ces nacres translucides aux reflets argentés, rosés ou mauves, en guise de quoi je ne vois que des coques ou des moules, quelques rares berniques et de nombreuses brisures impossibles à identifier. Concentré sur ma recherche, m’accroupissant par moments pour saisir un coquillage que je retourne avant de le rejeter la plupart du temps car il est troué ou détérioré en partie, je n’entends plus la femme qui reste immobile sur le sable sec, en haut de la plage et de laquelle je m’éloigne de plus en plus bien que mes pas soient irréguliers et plutôt lents.  Derrière elle, sur la grève, des promeneurs passent, silhouettes imprécises que mes yeux myopes sont incapables de distinguer, formes colorées protégées par des vêtements de pluie. Pourtant il ne pleut pas sous le ciel gis chargé de gros nuages.
Je suis si proche de l’eau que certaines vagues viennent jusqu’à mes pieds qu’elles caressent froidement. Ma récolte est mince, insignifiante même et d’ailleurs je ne compte pas conserver les rares coquillages que j’ai dans la main. Pour en faire quoi ? Je me demande toutefois si mon regard est moins aiguisé qu’autrefois ou si c’est simplement ma perception qui a changé et que ce que je voyais comme précieux, beau, rare, m’apparaît aujourd’hui comme insignifiant. Je continue cependant à accompagner la mer dans sa descente, machinalement, sans raison.

MONOLITHES   /  Serge Planchou
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